APRÈS LA TRANSPLANTATION D'UN CŒUR DE PORC, L'ESPOIR RENAÎT CONCERNANT LA PÉNURIE D'ORGANES
APRÈS LA TRANSPLANTATION D'UN CŒUR DE PORC SUR UN HUMAIN, L'ESPOIR RENAÎT CONCERNANT LA PÉNURIE D'ORGANES
Il faudra attendre plusieurs jours avant de s'assurer que le corps de David Bennett, le patient américain ayant reçu la greffe, ne rejette pas l'organe.
Quand son chirurgien lui a annoncé mi-décembre qu'il n'était pas éligible à une transplantation humaine, mais qu'une greffe provenant d'un porc était envisageable, la première réaction de David Bennett a été de feindre sa surprise par l'humour. "Est-ce que je vais me mettre à grouiner?", a-t-il répondu à son médecin, comme le rapporte le New York Times.
Un mois après cette conversation, le 7 janvier, l'homme s'est vu être le premier être humain de l'histoire de la médecine à recevoir une transplantation cardiaque grâce au cœur d'un porc. Et depuis son réveil, aucun signe de grouinement à l'horizon. Mais plutôt celui d'une prouesse médicale encore jamais réalisée, ouvrant des perspectives immenses pour toutes les personnes en attente d'une greffe d'organe.
Un événement majeur
Âgé de 57 ans, David Bennett, citoyen américain, se savait condamné. Atteint d'une grave maladie cardiaque, son pronostic vital ne dépassait pas les six mois. Face au diagnostic, il a finalement décidé d'accepter la proposition de son chirurgien, et recevoir une greffe provenant d'un cœur de porc. Son état de santé était trop grave pour être éligible à une greffe humaine, après avoir eu recours à plusieurs autres traitements.
La transplantation, qui a duré huit heures, a eu lieu le 7 janvier 2022. Ce sont des chirurgiens de l'école de médicine de l'Université du Maryland qui se sont chargés de l'opération, une première mondiale.
Interrogé par BFMTV, Jean-Noël Fabiani-Salmon, ponte de renommé mondiale dans le domaine de la chirurgie cardiaque, ayant dirigé le service de chirurgie cardio-vasculaire de l'hôpital Pompidou à Paris, reconnaît volontiers l'importance de l'événement.
"C'est un événement que l'on attendait depuis longtemps, puisque depuis dix ans au moins de nombreuses équipes travaillaient sur des fermes expérimentales pour préparer des animaux", déclare-t-il.
Ce n'est pas la première "hétérogreffe" - terme désignant une greffe pratiquée entre individus d'espèces différentes - à être réalisée dans l'histoire de la médecine. En 1984, un cœur de babouin avait été transplanté dans l'organisme d'un bébé, surnommé "Baby Fae", qui n'avait cependant survécu que 20 jours. Et en octobre, des chirurgiens new-yorkais avait réussi à greffer un rein de porc sur un patient en état de mort cérébrale. Mais avec la transplantation de David Bennett, c'est bien la première fois que des médecins parviennent à greffer un cœur animal sur un adulte.
Pourquoi un porc plutôt qu'un singe?
À la lecture de la nouvelle, une question émerge tout de suite. Pourquoi avoir préféré un organe provenant d'un porc, plutôt que celui d'un singe, pourtant réputé plus proche de l'homme, pour réaliser cette transplantation.
"Pourquoi le porc? Et bien soyons simple. N'y voyez aucune allusion au fait que ce soit un porc. C'est parce que la taille du cœur du porc est à peu près comparable à celle du cœur de l'homme. On ne pourrait pas greffer le cœur d'un cheval, ou celui d'un agneau. Parce que l'un serait trop grand, et l'autre trop petit. C'est d'abord une histoire de taille", explique Jean-Noël Fabiani-Salmon.
Les porcs sont également préférés aux primates car ils sont plus faciles à élever, et atteignent une taille adulte en six mois. Les valves des cœurs de cochon sont déjà transplantés chez des patients humains, et des patients atteints de diabète ont déjà reçu des cellules de pancréas porcin, rapporte de son côté le New York Times.
Des animaux spécialement préparés
Mais le cœur porcin qu'a reçu David Bennett n'est pas un organe ordinaire. En effet, il provient d'un animal spécialement élevé pour cette occasion, par la compagnie américaine Revivicor.
L'organe a reçu dix modifications génétiques, afin d'être compatible au mieux avec un organisme humain. Un gène arrêtant la croissance du cœur a notamment été neutralisé. En addition, six autres gènes humains ont été injectés dans l'organe.
Pour le docteur Jean-Noël Fabiani-Salmon cette préparation est absolument indispensable, comme il l'a détaillé à BFMTV. "Il faut absolument les préparer. Pourquoi? Parce qu'il existe un antigène de surface chez tous les animaux, qui entraînerait si on ne le traitait pas avant un rejet hyper-aiguë".
Un espoir immense
Plus qu'une prouesse médicale majeure, cette opération est également une source d'espoir immense pour tous les patients en attente d'une greffe d'organe. Si les greffes d'organes animales sur les hommes se révélaient viables, cela viendrait mettre un terme à la pénurie d'organes que connaît actuellement le monde.
Selon les chiffres de l'agence de la biomédecine, en France, en 2019, 26.116 personnes étaient en attente d'une greffe. Le plan 2017-2021 pour la greffe d'organes et de tissus, menés par le ministère de la Santé, prévoyait de faire monter à 7800 le nombre de transplantations réalisées en France en 2021. Un objectif qui a été dramatiquement bousculé par la crise du Covid-19. Selon une étude rapportée par l'Inserm, "le nombre de transplantations d’organes solides réalisées lors de la première vague de la pandémie en 2020 a chuté de 31 % par rapport à l’année précédente et de plus de 15% sur l’ensemble de l’année 2020".
Selon l'association France Transplant, entre 500 et 600 patients meurent chaque année faute d'avoir pu bénéficier d'une greffe en France. Aux États-Unis, ce sont 12 personnes qui meurent chaque jour à cause de cette pénurie.
La transplantation réalisée sur David Bennett "ouvre beaucoup plus de possibilités, mais pose aussi quelques problèmes éthiques. Et puis c'est une voie, celle biologique. Mais il y a aussi une autre voie, celle du cœur artificiel. On peut aujourd'hui remplacer le cœur par une machine. Alors il y a deux pistes qui s'ouvrent devant nous", analyse Jean-Noël Fabiani-Salmon.
Un patient étroitement surveillé
Bien que David Bennett a passé le cap crucial des 48 heures, et n'a pas développé un rejet "hyper-aiguë", caractérisé par la destruction par l'organisme du receveur de l'organe en quelques heures, il reste étroitement surveillé.
Il faut dorénavant qu'il passe le cap des 20 jours, date à laquelle la plupart des rejets se produisent. "Si on passe le cap des trois premières semaines, on pourrait dire qu'on a passé un cap. [...] Maintenant, que va-t-il se passer concernant le suivi de cette hétérogreffe? Comme c'est une première, on ne sait pas, mais le patient va être surveillé avec le plus grand soin par les chirurgiens", continue Jean-Noël Fabiani-Salmon.
En attendant ce cap, Bartley Griffith le chirurgien ayant pratiqué la transplantation, a expliqué que son patient avait "un grand sourire sur le visage". Et d'envoyer un message d'espoir: "il crée la pulsion, il crée la pression, c'est son cœur".
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